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Le Nom du quartier

Pourquoi ce quartier s’appelle-t-il « Télégraphe » ?

Belleville et Montmartre se disputent la palme du point le plus haut de Paris. Certes, à un peu plus de 128 mètres d’altitude, on ne risque guère d’y attraper le « mal des montagnes » des hauts plateaux andins. Mais cette particularité géographique a néanmoins suffi pour que Claude Chappe, l’inventeur du télégraphe, choisisse Belleville comme point de départ de ce nouveau mode de communication.

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Portrait de Claude Chappe

Claude Chappe n’était pas Bellevillois, ni même Parisien : il est né dans le village de Brûlon, dans la Sarthe, le jour de Noël 1763. Ordonné prêtre, ses bénéfices ecclésiastiques lui procuraient une aisance financière suffisante pour qu’il puisse vivre à Paris où il se consacrait à la mécanique, à la physique et à l’électricité qui le passionnaient. Il est vrai que sa famille était tournée vers les sciences : un oncle, l’abbé Chappe d’Auteroche, après la Sibérie en 1861, était allé jusqu’en Basse-Californie en 1869 pour y suivre le passage de Vénus devant le disque du soleil et y était mort de la fièvre jaune. Les quatre frères de Claude partageaient ses centres d’intérêt.

 

Mais la Révolution Française, en abolissant ses prébendes, l’obligea à quitter la capitale pour rentrer dans son village natal. C’est là qu’il imagina ce qui devint le télégraphe (des mots grecs tele : lointain, et graphein : écrire), fondé sur un système de bras mobiles connectés par une traverse et dont les différentes positions correspondaient à des mots. Pour en créer le vocabulaire, Chappe s’était inspiré des codes secrets qui permettaient à l’époque aux diplomates de chiffrer leur correspondance et dont il avait eu connaissance par un de ses parents, Léon Delaunay, ancien consul à Lisbonne.

 

La première expérience fut organisée en 1791 entre Brûlon et un village situé à une quinzaine de kilomètres. Le message, prémonitoire, était le suivant : « si vous réussissez vous serez couverts de gloire. ». Et justement, ils réussirent.

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Le télégraphe

L’étape suivante était de revenir à Paris pour convaincre les autorités de l’intérêt de cette découverte, en s’appuyant sur un des frères, Ignace, devenu membre de l’Assemblée législative en octobre de la même année et siégeant au comité d’instruction publique. Malgré ces atouts, il fallut deux ans pour convaincre les autorités. Une première machine, installée à la barrière des Champs-Élysées, fut détruite avant d’avoir servi. C’est alors que Chappe songea au château de Saint-Fargeau, qui occupait à l’époque le site de l’actuel quartier Télégraphe : à l’avantage de l’altitude (le point culminant se trouve à l’entrée du cimetière de Belleville) s’ajoutaient la personnalité du propriétaire du château, député révolutionnaire (il voterait la mort du Roi quelques mois plus tard), et le fait qu’il s’agissait d’un parc ceint de murs et donc protégé.

 

Pourtant, une nouvelle expérience échoua en septembre 1792 : la foule surexcitée se persuada qu’il s’agissait d’une machine permettant à l’ennemi autrichien d’entrer en contact avec la famille royale alors emprisonnée au Temple. Elle força le passage dans le parc, détruisit la machine et la brûla.

 

L’épisode décisif ne se produisit que le 12 juillet 1793. La Convention Nationale publia un texte ordonnant aux maires des communes concernées « de veiller à ce qu’il ne soit porté aucun dommage aux machines du citoyen Chappe, de requérir à cet effet la garde nationale et d’instruire les citoyens des dites communes que les expériences à faire par ce dit citoyen ont été ordonnées par le décret de la Convention Nationale du 1er avril dernier ».

 

Il s’agissait de communiquer entre Belleville et Saint Martin du Tertre (à une distance d’environ 35 kilomètres) avec une station intermédiaire à Ecouen. La démonstration fut concluante : un message de 26 mots parvint à destination en 11 minutes et la réponse, de même longueur, arriva après 9 minutes.

 

A la suite de ce succès, Lakanal, Ministre de l’Instruction publique, présenta un rapport expliquant l’intérêt, notamment militaire, de ce système et, le 4 août 1793, le Comité de Salut Public ordonna la construction de la première ligne. En ces temps de guerre, la priorité allait aux frontières et au Nord.

 

Les travaux s’achevèrent un an plus tard. A peine terminé, le 1er septembre 1794, le télégraphe annonçait la prise de Condé sur l’Escaut moins d’une heure après l’événement, alors que la ville (proche de Valenciennes) se trouve à 240 kilomètres de Paris.

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La France allait donc se couvrir rapidement des télégraphes Chappe (dont l’inventeur et son frère Ignace étaient nommés responsables). Le système était assez simple : les appareils, installés sur des lieux en altitude, étaient distants de 12 à 25 kilomètres, selon la topographie, et occupés par deux employés (les stationnaires), souvent invalides ou retraités : l’un lisait les signaux envoyés par la tour précédente à l’aide d’une longue-vue, l’autre actionnait les bras du télégraphe pour transmettre ce message à la tour suivante. Le service commençait un quart d’heure avant le lever du jour et s’achevait à la nuit, puisqu’il était impossible de communiquer dans l’obscurité.

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source : BNF, département des estampes et de la photographie

En 1845, ce réseau couvrait 5000 kilomètres entre 30 grandes villes. Chappe ne devait toutefois pas connaître cet apogée. En janvier 1805, il se tua en tombant dans le puits du jardin de l’hôtel de Villeroy (rue de Grenelle) où il résidait. Sans doute s’agissait-il d’un suicide, pour des raisons qui ne sont pas totalement élucidées. Il fut inhumé au Père Lachaise.

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Tombe de Claude Chappe au Père Lachaise

Ignace resta jusqu’en 1823 responsable du système de télégraphe qui, concurrencé par de nouveaux modes de communication, disparut en 1855.

 

Le souvenir de cette histoire subsiste aujourd’hui. Certes, la statue de Chappe en bronze, érigée en 1893 à l’angle du boulevard Saint Germain et de la rue du Bac, a été fondue sous Vichy. Mais il existe une rue Chappe à Montmartre et un collège porte son nom à Belleville. Lors de la création de la ligne de métro n°11, en 1935, le nom de Télégraphe fut donné à la station la plus proche du lieu de ses exploits. Logiquement, cette station est l’une des trois plus profondes du réseau (avec Abbesses et Place des Fêtes). Enfin, il reste une trace littéraire du télégraphe dans Le Comte de Monte Cristo. Ce dernier est fasciné par cette invention, comme en témoignent ses propos : « J’ai vu parfois au bout d’un chemin, sur un tertre, par un beau soleil, se lever ces bras noirs et pliants pareils aux pattes d’un immense coléoptère et jamais ce ne fut sans émotion, je vous le jure, car je pensais que ces signes bizarres fendant l’air avec précision, et portant à trois cents lieues la volonté inconnue d’un homme assis devant une table, à un autre homme assis à l’extrémité de la ligne devant une autre table, se dessinaient sur le gris du nuage ou sur l’azur du ciel, par la seule force du vouloir de ce chef tout puissant : je croyais alors aux génies, aux sylphes, aux gnomes, aux pouvoirs occultes enfin, et je riais. ». Le comte utilise le télégraphe pour ruiner son ennemi Danglars : en soudoyant le préposé de Montlhéry, il peut envoyer un faux message pour faire croire que le Roi d’Espagne s’est échappé de Bourges, rentrant en Espagne où Barcelone s’est soulevée en sa faveur. Trompé, Danglars s’empresse de vendre tous ses titres espagnols.

 

Aujourd’hui, le souvenir du télégraphe de Chappe se perpétue dans le blason du XXème arrondissement de Paris :

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Blason du XXème arrondissement de Paris

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