Paul de Kock
Auteur aujourd’hui bien oublié, ce dernier fut pourtant très célèbre à son époque. Alexandre Dumas lui-même le voyait comme un rival. Eugène de Mirecourt, qui a rédigé en 1855 une biographie de Paul de Kock, en témoigne. « Un soir, un flatteur disait à sa table (celle d’A. Dumas) : - Maître, il ne restera que trois romanciers de notre siècle, vous, Mme Sand et Balzac ! - Veuillez, répondit l’amphitryon, en ajouter un quatrième - Qui cela ? - Paul de Kock, il vivra plus longtemps que nous. Si vous ne partagez pas mon opinion, c’est que vous ne l’avez point lu. ».
Ce jugement semble avoir été partagé par la foule des lecteurs. Eugène de Mirecourt ajoute : « Le jour où l’on mettait en vente un roman de Paul de Kock il y avait une véritable émeute en librairie. On courait prendre les volumes par centaines, et les cabriolets brûlaient le pavé pour aller répandre l’œuvre nouvelle d’un bout de Paris à l’autre. L’affiche était presque simultanément collée à toutes les vitres des cabinets de lecture qui achetaient quelquefois jusqu’à dix exemplaires du même ouvrage sans pouvoir contenter l’impatience des lecteurs. ».
Plusieurs contemporains témoignent de cette célébrité en le citant dans leurs propres oeuvres. Alphonse Daudet dans les Lettres de mon moulin : « Entre une histoire très détaillée de l’enregistrement et quelques romans de Paul de Kock, je découvre un volume dépareillé de Montaigne ». Verlaine, dans son Album zutique : « J’ai, non sans quelque aplomb qu’on ne saurait nier/Dirigé cette danse exquise du panier/Dont Paul de Kock nous parle en mainte parabole ». Victor Hugo (les Misérables) en mettant cette phrase dans la bouche de Gavroche : « Nous n’avons pas le temps de lire des romans de M. Paul de Kock ». Maupassant enfin, qui écrit (Mots d’amour) : « Il faut aussi savoir se taire, et éviter en certains moments les phrases à la Paul de Kock ».
Buste de Paul de Kock aux Lilas (sculpteur Émile Lerov, 1928)
Cette notoriété ne s’arrête pas aux frontières. A en croire Eugène de Mirecourt, « Les Italiens, les Allemands, les Russes, les Anglais, les Américains ne lisent que du Paul de Kock, absolument comme, en fait de théâtre, ils ne veulent entendre parler que de M. Scribe… A Rome, le prédécesseur de Pie IX avait toujours entre les mains un livre du joyeux romancier. Quand un Français de distinction demandait audience et se présentait au Vatican pour baiser la mule du Saint Père, le premier mot que lui adressait le pontife était toujours celui-ci : - Comment se porte M. Paul de Kock ? Vous devez le connaître ? - ».
Propos excessifs, peut-être. Pourtant, le lecteur attentif des Frères Karamazov constatera que Dostoïevski lui-même ne récusait pas cette influence : « Tu rougis, tes yeux jettent des éclairs. Assez de boue comme cela n’est-ce-pas ? Pourtant, ce ne sont là que fleurs et guirlandes à la Paul de Kock ».
Pourquoi un tel succès ? Paul de Kock ne comptait pourtant pas que des admirateurs. Edmond About et Théophile Gautier ne lui ménagent pas leurs critiques, dressant un parallèle entre l’écrivain et un peintre voyageur, François-Auguste Biard, connu pour ses représentations du Grand Nord et de l’Amazonie brésilienne mais qui ne dédaignait pas les scènes de genre : « Chez l’un et chez l’autre, l’exécution ne vient qu’en second lieu. Il leur faut surtout et avant tout le sujet burlesque ; ils le reproduisent avec le plus d’exagération possible, s’inquiétant fort peu de lui imprimer ce caractère qui donne à toute œuvre une haute portée et lui assure un avenir durable ». Ce propos méprisant de 1837 est réitéré en 1855 : « Leur penchant les entraîne vers les mêmes sujets, et leurs admirateurs habitent les mêmes faubourgs. L’un et l’autre se plaisent à peindre les gardes nationaux de la banlieue, les comédiens ambulants, les bourgeoises endimanchées et le bourgeois qui porte un melon comme Saint Denis portait sa tête. ». Ces citations, issues de l’excellent catalogue François Auguste Biard peintre voyageur publié par la Maison de Victor Hugo à l’occasion de l’exposition consacrée à ce dernier début 2021, témoignent du mépris de leurs auteurs vis-à-vis des lecteurs de Paul de Kock, issus des classes populaires.
Eugène de Mirecourt, qui qualifie ce dernier de « romancier des cuisinières, des valets de chambre et des portiers », est plus explicite sur les raisons de ce succès : « Paul de Kock ignore la convention et la fantaisie, il ne sait que la nature. Ses œuvres sont un miroir où une multitude de personnages peuvent s’admirer de pied en cap. ». Chateaubriand ajoute qu’il « est consolant. Il ne présente jamais l’humanité sous un point de vue qui attriste », ce qu’E.de Mirecourt complète de la façon suivante : « Nous défions le rigoriste le plus outré, le misanthrope le plus incorrigible et l’hypocondriaque le plus morose d’ouvrir un livre de Paul de Kock sans être immédiatement saisi par la gaieté communicative de l’auteur et sans pouffer de rire à la première page… Beaucoup de docteurs fort habiles prescrivent à leurs malades le régime suivant : deux chapitres de Paul de Kock le matin, trois chapitres le soir, sans tisanes et sans cataplasmes. Ils les adressent au cabinet de lecture, au lieu de les envoyer chez le pharmacien. Les malades suivent l’ordonnance et guérissent. ».
Si une rue de Télégraphe porte le nom du romancier, ce n’est pas par hasard. Rien ne le prédestinait à s’installer à proximité : il était né à Passy, fils d’un banquier hollandais (un des demi-frères de Paul fut d’ailleurs gouverneur des Indes néerlandaises) fournisseur du Général Dumouriez et des armées du Nord. Revenu à Paris fin 1793 pour y réclamer les sommes qui lui étaient dues, ce banquier fut condamné à mort et guillotiné. Son épouse, condamnée à la même peine, fut sauvée par sa grossesse (selon d’autres sources, son fils venait de naître et Fouquier-Tinville accepta de surseoir à l’exécution jusqu’à ce qu’il soit sevré).
Paul de Kock, qui entre donc dans la vie en sauvant celle de sa mère, développe très tôt deux passions : l’écriture et la nature. La première lui vaut d’être renvoyé par son premier employeur, un banquier qui le surprend pendant ses heures de travail à écrire son premier roman, L’enfant de ma femme. Age de quinze ans, Paul de Kock publie son ouvrage à compte d’auteur, sans grand succès. Mais il accède à la notoriété peu après avec un vaudeville, Catherine de Courlande, monté à l’Ambigu Comique. Ses œuvres suivantes, Frère Jacques puis le voisin Raymond, remportent un triomphe. Son œuvre comprend de très nombreux romans mais aussi plus de 200 drames et vaudevilles et des chansons dont la plus célèbre, Madame Arthur, a donné son nom au cabaret montmartrois.
Jeune, il écrit : « Qu’on est heureux/Qu’on est joyeux/Tranquille/A Romainville/Ces bois charmants/Pour les amants/Offrent mille agréments. » et, dans ses Mémoires (en 1873) il raconte : « On montait, bras dessus, bras dessous, le faubourg du Temple et la Courtille ; on traversait Belleville, on passait par le chemin du parc Saint Fargeau, en laissant sur sa droite le télégraphe, sur sa gauche les Prés Saint Gervais, puis, immédiatement, devant soi, on avait la campagne, les champs de seigle et de blé, entrecoupés de massifs de groseilliers et de cassis où l’on faisait, en automne, de petites haltes furtives, ombragés de pruniers et de noyers ». fruits.
Illustration d’André Tzanck dans « Le cocu »
Son éditeur, Barba, a alors l’idée de lui proposer un marché : il lui offre la maison de ses rêves à Romainville. En contrepartie, il obtient l’exclusivité de la publication de ses textes. Cet arrangement lie les deux hommes pendant plus de vingt ans, de 1816 à 1837, date à laquelle l’auteur reprend sa liberté et commence à vendre directement aux libraires.
Si Paul de Kock n’habite pas le quartier Télégraphe, il en est néanmoins un proche voisin et un amoureux de cette zone, au point d’agrandir sa propriété. L’intarissable Eugène de Mirecourt précise en effet que « Vers 1845, il fit une remarque alarmante. La commune de Romainville, autorisée d’abord à vendre quelques portions du bois et à bâtir sur les terrains défrichés, prenait goût aux bénéfices que lui rapportait ce commerce et demandait chaque année au ministère de nouvelles autorisations… Ce fut alors qu’il écrivit L’amant de la lune pour acheter une partie de sa forêt bien-aimée… Au milieu de ces ombrages s’élève un théâtre champêtre. ».
Il ne reste rien de cet ensemble : la maison a été détruite en 1897 et remplacée par l’actuelle construction à tourelle par son propriétaire. Celui-ci, un charcutier nommé Patrelle, avait inventé une préparation qui donnait goût et couleur aux mets. Installé dès 1852 à Romainville (aujourd’hui les Lilas, créés en 1867), il ne tarda pas à se diversifier (confiseries, savons) et à contracter des alliances familiales avantageuses : une fille Patrelle épousa le fils de Louis Vuitton. L’entreprise, aujourd’hui installée en Normandie, existe toujours et produit des friandises (roudoudous, boules de coco).
Affiche publicitaire pour l’arôme Patrelle
Quant au jardin, il a disparu en 1902 lorsqu’a été érigé sur son emplacement le Théâtre du Garde-Chasse. Un buste de l’écrivain, œuvre du sculpteur Émile Lerov inaugurée en 1928, orne la place qui se trouve devant ce bâtiment. Un autre buste, plus récent (1901), dû au ciseau de Jean-Bernard Descomps, se trouvait jusqu’en 1944 à Noisy le Sec. Lors d’un bombardement, il a volé jusque sur le billard de « l’auberge du bois perdu » qui se trouvait à proximité et il n’a pas été remplacé. Un portrait de Paul de Kock, du peintre Eugène Leguay, est au château de Compiègne.
Pour conclure, le mieux est de céder la parole à un journaliste, Maurice Hamel. Ce dernier avait fait campagne pour que le nom de Paul de Kock soit donné à une rue du tout nouveau Hameau des Bois. Lors de son inauguration, en 1925, il disait : « On ne peut point ne pas songer à Paul de Kock quand on évoque Belleville, ses grisettes amoureuses et ingénues, ses petits employés épris de farces et de bonnes et franches lippées, Belleville qui était alors une banlieue de Paris, avec des tonnelles et des guinguettes où, le dimanche, s’esbaudissaient les jeunes gens en liesse. Paul de Kock avait à deux pas de là – à Romainville – sa petite propriété, et il célébra Belleville en écrivant un roman exquis : La Pucelle de Belleville. ».