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Artiste précurseur et républicain : Mathurin Moreau

Au 15, passage du Monténégro, s’élève un des très rares exemples de l’architecture du XVIIIème siècle subsistant à Belleville. Sans doute s’agissait-il d’une dépendance du château de Saint Fargeau, auquel a appartenu cette étendue de terrain (entre les rues de Belleville et de Romainville) jusqu’en 1783.

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La maison de Mathurin Moreau aujourd’hui. Aquarelle de Grégoire Bénabent

C’est dans cette maison qu’a vécu et qu’est décédé, le 14 février 1912, Mathurin Moreau, sculpteur qui fut aussi le premier Maire élu du XIXème arrondissement. Sa notoriété était alors suffisante pour que son nom soit donné à l’une des grandes artères parisiennes quelques mois à peine après son décès : par arrêté du 16 juillet de la même année la rue Priestley devenait l’avenue Mathurin Moreau.

 

Pourtant, le piéton de Paris, aujourd’hui, ignore généralement cet artiste, alors qu’il passe peut-être chaque jour devant l’une de ses œuvres : du parvis du musée d’Orsay à la place qui précède la Comédie Française, des grandes églises bâties sous le Second Empire à la façade de la Gare du Nord, de l’Opéra à l’escalier d’honneur de l’Hôtel de Ville, partout les sculptures de Mathurin Moreau nous entourent et contribuent à l’image de la capitale.

 

A Paris mais aussi dans sa région natale, la Bourgogne, qui renferme plusieurs monuments auxquels il a participé, en particulier à Dijon. Et aussi en Haute-Marne, où une association très active garde le souvenir de la fonderie du Val d’Osne dont il fut l’administrateur et le pourvoyeur de modèles.

 

Ces derniers furent exportés à travers l’Europe et plus encore en Amérique du sud, où elles marquent aujourd’hui encore le paysage urbain. Si, en France, l’oubli officiel s’est abattu sur lui, il n’en est pas de même au Brésil, par exemple, où la Ville de Rio de Janeiro s’est engagée il y a plusieurs années dans un vaste programme de rénovation et de mise en valeur de ses œuvres et plus généralement des fontes d’art du Val d’Osne.

 

Enfin, les générations de Parisiens qui se sont unis à la Mairie du XIXème arrondissement ignorent sans doute que le personnage à l’air grave qui officie sur l’immense tableau dominant la salle des mariages n’est autre que ce même Mathurin Moreau. Cette œuvre commandée au peintre Henri Gervex et achevé en 1882 le montre en effet dans ses habits de maire, présidant au mariage de son fils. Dans l’assistance, on reconnaît Gervex lui-même mais aussi Émile Zola et Édouard Manet, témoignage des amitiés politiques et artistiques de l’élu.

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Mathurin Moreau au travail dans son atelier du 15 passage du Monténégro. On aperçoit derrière lui une des quatre Vertus cardinales de l’église Saint-Augustin de Paris. Photo retrouvée dans sa maison en février 2021.

Une enfance bourguignonne auprès d’un père sculpteur

 

Mathurin nait le 18 novembre 1822 à Dijon. Son père, Joseph, fils d’un serrurier, est lui-même sculpteur. Sa renommée ne vient pas de ses œuvres originales mais de ses travaux de restauration, dans une France qui essaye de réparer les dommages causés au patrimoine par la Révolution.

 

Joseph a étudié à l’école de peinture et de sculpture de Dijon, où il a été l’élève de François Devosge. Si le nom de ce dernier n’a pas été retenu par la postérité, ceux de certains de ses disciples, tels que François Rude ou Pierre Paul Prud’homme, sont restés célèbres.

 

Dès 1819, âgé de 22 ans, Joseph est appelé à participer à l’un des principaux chantiers dijonnais : la restauration des tombeaux des Ducs de Bourgogne. En 1793 en effet, les autorités révolutionnaires avaient décrété « que ces tombeaux seront détruits comme étant des monuments de despotes, que ces figures qui représentent ces anciens ducs seront réduites en blocs, que les tablettes et figures de chartreux seront conservées et déposées dans un lieu convenable. ».

 

Malgré ces mesures de conservation, il ne restait que 70 pleurants sur les 80 d’origine. Outre la remise en état des gisants, des anges situés à leur tête et des angelots, Joseph sculpta donc 7 des 10 chartreux manquants, n’hésitant pas à en faire des représentations de lui-même et de ses compagnons responsables du chantier. Son autoportrait levant la main vers son oreille avait été qualifié en 1839 par Victor Hugo de « plus plaisant du monde » mais il n’en fut pas moins retiré avec ses neuf compagnons en 1932, lors d’une restauration plus fidèle à l’original car s’appuyant sur des dessins anciens.

 

En 1822, l’année de la naissance de Mathurin, Joseph est notamment absorbé par la réalisation d’un relief pour la Chapelle des Rois à l’église Saint Michel de Dijon. Il contribue ensuite à l’achèvement du théâtre de la ville, réalise une copie (au tiers de la taille initiale) du puits de Moïse, sculpte plusieurs statues de saints pour des couvents (à Fontaine les Dijon) ou (à Dijon même) pour l’ancienne chartreuse transformée en ce que l’on appelait à l’époque un asile d’aliénés.

 

Personnalité reconnue, membre de la commission archéologique de Bourgogne, donateur généreux (il offre à Dijon des statues pour le Jardin des Plantes), Joseph meurt soudainement en 1855.

 

Mathurin est l’aîné des trois fils et ses deux frères sont nettement plus jeunes : Hyppolite-François, né en 1832, est son cadet de dix ans et Auguste-Louis, né en 1834, a encore deux ans de moins. Tous deux, élèves de Mathurin, sont aussi artistes, sculpteur et peintre pour le premier, « statuaire » pour le dernier de la famille, qui aura lui-même deux fils sculpteurs. L’un de ses deux fils, Louis-Auguste, aura à son tour un fils peintre. Au total, ce sont donc sept artistes qui se succèdent dans la famille, justifiant ainsi le terme de « dynastie bourguignonne » utilisé par M. Jean-Louis Ancet dans son mémoire de maîtrise des beaux-arts, texte non publié mais qui constitue la meilleure source pour connaître cette famille hors du commun.

 

Comme son père, Mathurin fait ses études artistiques à Dijon et commence à travailler à 19 ans : en 1841, il aide en effet Joseph à sculpter les frontons de deux immeubles construits porte Saint Pierre dans le cadre du réaménagement des fortifications de sa ville natale. Sur l’une des façades, la Ville de Dijon tient des lauriers au-dessus de médaillons figurant des personnalités locales illustres. Sur l’autre, la Bourgogne est accompagnée des attributs de l’agriculture, de l’industrie et du commerce.

Une carrière qui débute à Paris sous les auspices du classicisme

 

Alors que Joseph, pour des raisons notamment financières, n’a effectué que peu de déplacements hors de sa région, Mathurin remporte un prix départemental des beaux-arts, doté de 800 francs par an pendant trois ans. Cette somme lui permet de partir pour Paris cette même année 1841 et il entre à l’École des Beaux-Arts, élève de Jules Ramey et Auguste Dumont (ce dernier est l’auteur du Génie de la Bastille).

 

Cette même année, il participe au concours pour le monument funéraire de Napoléon aux Invalides. L’architecte Louis Visconti remportera ce concours mais le chantier connaîtra des vicissitudes et le corps de l’Empereur ne pourra trouver sa place définitive que vingt ans plus tard, en 1861.

 

Mathurin se présente régulièrement au Grand Prix de Rome, avec des figures (imposées) tirées invariablement de l’Antiquité. En 1842, il remporte le deuxième prix avec Diogène enlevant le Palladium : Athéna ayant tué accidentellement Pallas, sa compagne de jeu, fit une statue à son image qu’elle plaça à côté de Zeus. Jetée du ciel par ce dernier, récupérée par Ilos le fondateur de Troie, elle était la garantie que la ville resterait inexpugnable. Diomède et Ulysse la dérobèrent donc et permirent ainsi la chute de Troie.

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Le Génie de la Bastille, d’Auguste Dumont, professeur de Mathurin Moreau

En 1843, nouvelle compétition pour le Prix de Rome, cette fois avec La mort d’Épaminondas. Mortellement blessé, ce dernier, après s’être assuré de la victoire de son camp et avoir crié : « J’ai assez vaincu puisque je meurs sans avoir été vaincu » avait arraché la lance de son flanc pour succomber.

 

En 1845, le thème est Thésée puis, l’année suivante, un sujet plus rare : Mézence soignant sa blessure, extrait de l’Enéide. Selon Ovide, Mézence, roi étrusque, était connu pour sa cruauté : « Il allait même, en guise de torture, jusqu’à lier des cadavres à des vivants, mains contre mains et visages contre visages et ces êtres, en se liquéfiant en pus et pourriture, trouvaient ainsi une mort lente dans une affreuse étreinte. ». Ce roi cruel fut blessé par Énée. Son fils Lausus, pour le protéger, se précipita contre ce dernier et fut tué. Énée, touché par sa piété filiale, rendit son corps à son père qui, désespéré, lava ses blessures et reprit le combat pour être à son tour abattu par son adversaire.

 

Parallèlement à ces efforts académiques pour obtenir le Prix de Rome, Mathurin Moreau commence à participer au Salon, où sa première œuvre est l’Élégie, acquise en 1843 par la Ville de Dijon.

 

Malgré le Retour des Cendres de 1840, le Roi Louis-Philippe est renversé en 1848 et la France devient –pour peu de temps- républicaine. Il semble que le sculpteur ait éprouvé de la sympathie pour ce mouvement, mais cette adhésion est mal documentée.

Sous le Second Empire, les grands projets parisiens

 

Quoi qu’il en soit, Mathurin se glisse sans difficulté apparente dans le Second Empire. Il connaît un succès croissant. En 1855, l’Été, présenté à l’Exposition Universelle de Paris, lui vaut une médaille et son achat par l’État lui apporte 5000 francs, somme importante qu’il consacre à un voyage à Rome avec son épouse. Selon la revue Les hommes d’aujourd’hui qui lui consacra un numéro : « la vue des mœurs de cette capitale ne put que confirmer ses opinions anticléricales. Il n’en parla jamais qu’avec le dégoût le plus profond. Par contre il ne tarit pas sur les beautés artistiques qui foisonnent dans ce coin du monde. ».

 

Un coin dont il peut croire qu’il ne reviendra jamais, car il est soudain saisi de fièvres et reste plusieurs jours entre la vie et la mort. Rétabli après un séjour à Naples, il peut finalement regagner Paris.

 

Sa carrière se développe alors selon trois axes. Il continue à participer aux Salons et y remporte de nombreux succès. En 1861, La Fileuse est acquise par l’État pour 8000 francs. En 1866, Studiosa (aujourd’hui dans un musée de Marseille) lui vaut des commentaires élogieux.

 

Il reçoit par ailleurs de nombreuses commandes publiques en lien avec les grands travaux d’aménagement parisiens du Baron Haussmann. Entre 1860 et 1868, il contribue à l’édification de l’église Saint Augustin, construite sous la direction de Baltard. Il y réalise les Quatre Vertus Cardinales qui figurent sur la porte principale et dont la copie se trouve encore aujourd’hui dans l’escalier de sa maison. A peu près à la même période, il sculpte les statues de Saint Grégoire le Grand et de Saint Jérôme, deux docteurs de l’Église, qui ornent la façade de l’église de la Trinité, dont les travaux s’échelonnent de 1861 à 1867.

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Deux Vertus cardinales, porte principale de l’église Saint-Augustin, Paris

Mathurin Moreau ne se limite pas à la sculpture religieuse. En 1863, il exécute la Ville de Cologne sur la façade de la Gare du Nord. Et il apporte surtout sa contribution à l’un des principaux monuments légués par le Second Empire : l’Opéra de Charles Garnier. Il participe à l’ornementation de l’une des parties essentielles du nouveau programme : le pavillon du chef de l’État.

 

En effet, la décision de construire un nouveau théâtre lyrique fait suite à l’attentat du 14 janvier 1858, perpétré par des anarchistes italiens conduits par Felipe Orsini contre Napoléon III et l’Impératrice Eugénie alors qu’ils arrivaient à l’Opéra de la rue Lepeltier, construit « à titre provisoire » en 1821. Le couple impérial ayant échappé de justesse à l’attentat, un décret du 29 décembre 1860 déclare d’utilité publique un nouvel édifice. L’un des objectifs essentiels du programme touche à l’accueil en toute sécurité des hautes personnalités. Un pavillon entier y est affecté : accessible en voiture grâce à une large rampe, il permet aux souverains de mettre pied à terre loin du public et d’accéder directement à leur loge par un escalier privé. La rampe permet de recevoir la voiture impériale, les deux voitures de la Cour qui l’accompagnent et l’escorte. A l’intérieur, de vastes espaces abritent une salle des gardes, un salon des aides de camp, deux salons et un fumoir – aujourd’hui la bibliothèque et le musée de l’Opéra-. Mathurin est chargé des deux cariatides qui tiennent d’une main une palme de bronze et de l’autre une couronne de laurier.

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Pavillon du chef de l’État, Opéra de Paris. Cariatide (Mathurin Moreau)

Outre sa participation aux Salons et la réalisation de commandes publiques, Mathurin Moreau inaugure en 1849 sa collaboration avec la Fonderie du Val d’Osne, pour laquelle il créera plus d’une centaine de modèles : candélabres, torchères, fontaines, statues, Vierges, monuments funéraires, lampes… La liste en est à peu près inépuisable. Créée en 1836, la fonderie du Val d’Osne a poursuivi ses activités pendant 150 ans, jusqu’en 1986. Les vestiges de l’usine sont aujourd’hui inscrits aux Monuments Historiques et l’association qui s’était créée pour les protéger est devenue la principale référence en matière de fontes d’art.

Après la chute de l’Empire, un engagement républicain

 

La guerre franco-prussienne et la chute de l’Empire, en 1870, marquent un tournant dans la vie de Mathurin Moreau. Pendant le siège de Paris, il participe à la résistance de la capitale, par des moyens pacifiques : distribution de vivres, organisation des secours contre les incendies, hygiène… Ces activités lui valent une certaine popularité.

 

Il s’engage aussi sur le terrain politique, crée avec les principales personnalités républicaines de l’arrondissement l’ « Union Républicaine du XIXème » qui publie un manifeste appelant à la démocratie. Sans doute s’agit-il d’une structure liée à l’Union Républicaine rassemblant autour de Gambetta des personnalités telles que Louis Blanc, Victor Hugo ou Garibaldi. Dès les élections législatives de 1869, Léon Gambetta avait, à l’occasion d’un discours prononcé dans le quartier, présenté le programme de Belleville : liberté de la presse, séparation de l’Église et de l’État, impôt sur le revenu…

 

Cet engagement social et politique vaut à Mathurin d’être nommé, après la Commune, adjoint au Maire. Mais les années qui suivent immédiatement le départ de Napoléon III et l’écrasement de la Commune sont celles du Maréchal de Mac Mahon et de l’Ordre Moral. Mathurin et ses compagnons sont destitués : la loi du 20 janvier 1874, qui permet au gouvernement de nommer des maires qui ne sont même pas membres du Conseil Municipal dans toutes les communes de plus de 20 000 habitants témoigne de cette reprise en mains.

 

Plus tard, on saura se souvenir de cet épisode, ce qui explique qu’on lui propose de se présenter aux premières élections municipales libres de l’histoire parisienne, d’autant plus qu’il est le seul survivant de l’Union Républicaine du XIXème. Alors, nous indique Les Hommes d’aujourd’hui, « Il accepta par devoir et comme un hommage tardif rendu à ses anciens collègues tous frappés par la mort. ».

 

En 1879, il est donc élu Maire du XIXème arrondissement et occupera ce poste jusqu’à sa mort en 1912. Sa fonction lui permet de siéger au Conseil de Paris et il a sans doute croisé Severiano de Heredia, premier (et seul) Maire noir qu’ait connu Paris. Cet Afro-Cubain, naturalisé Français en 1870, Républicain comme Mathurin, fut en effet élu Maire de Paris (pour six mois, comme le voulait la règle à cette époque) la même année.

 

Il reste peu de témoignages de l’œuvre municipale de Mathurin Moreau. En effet, même si une nouvelle loi du 5 avril 1884 accroît les libertés municipales et les pouvoirs des élus locaux, Paris reste une exception et ne connaitra pas l’élection de son Maire avant 1977. Le rôle des maires d’arrondissement reste donc limité.

 

Si la carrière artistique de Mathurin ne connaît pas de bouleversement, elle est néanmoins marquée par des inflexions, sans que l’on puisse dire si elles sont liées à sa volonté personnelle ou à l’évolution plus générale des milieux artistiques dans lesquels il vit et travaille.

Sous la Troisième République, le changement dans la continuité

 

La continuité préside à ses relations avec la Ville de Paris à laquelle il reste fidèle : après quelques hésitations, il décline en effet la proposition qui lui est faite de prendre la direction de l’École des Beaux-Arts de Dijon. Il reçoit de nouvelles commandes destinées à l’embellissement de la capitale. La première se situe dans le prolongement des précédentes et, dès 1872, il est chargé de la fontaine La libellule sur la place du Théâtre Français (devant la Comédie Française), sous la direction de Davioud, qui fut l’un des principaux architectes du Baron Haussmann. La fontaine existe toujours. Signe du peu d’intérêt de la Ville de Paris pour son patrimoine, aucune plaque n’en signale l’auteur, pas plus que pour la fontaine symétrique due à Carrier-Belleuse. En revanche, une plaque mystérieuse posée maladroitement sur la vasque signale une autre œuvre, commande de l’État de 2010, un Crépuscule persistant, de Nathalie Junod Ponsard, une réalisation que le badaud cherche en vain…

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La libellule, place du Théâtre Français (aujourd’hui André Malraux)

En 1874, il réalise le Sommeil, sur le square des Ménages (aujourd’hui Boucicaut). Les commentaires sont élogieux : « Ce nu a pu offenser quelques vieilles douairières, mais on ne peut se lasser d’admirer ces courbes fermes et gracieuses, ces poses si naturelles de quiétude et d’abandon, ce repos si absolu sous lequel pourtant on sent circuler une si vigoureuse vie. » (Les Hommes d’aujourd’hui). Le lieu est d’autant plus prestigieux qu’Aristide Boucicaut, deux ans plus tard, crée sur cette place l’actuel Bon Marché, aussi innovant dans sa conception (le premier magasin de nouveautés à Paris) que dans son architecture (avec une structure métallique Eiffel). Hélas ! Les douairières l’ont emporté et la statue a disparu.

 

L’Océanie, heureusement, est toujours visible et superbement mise en valeur sur le parvis du Musée d’Orsay, avec les autres sculptures (dues à d’autres ciseaux) qui ornaient la fontaine du Trocadéro. Celle-ci est érigée en 1878 et orne la colline de Chaillot jusqu’à la construction de l’actuel Palais en 1935.

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L’Océanie (Musée d’Orsay)

Mathurin Moreau participe aussi à l’ornementation du nouvel Hôtel de Ville de Paris. Le précédent édifice ayant été incendié le 24 mai 1871 pendant la Commune, la construction d’un nouveau bâtiment est décidée et confiée aux architectes Théodore Ballu et Édouard Deperthes. C’est une fois de plus le choix de la continuité qui prévaut car E. Ballu avait réalisé, notamment, l’église de la Trinité sous l’Empire. Mathurin et Moreau et lui avaient donc déjà travaillé ensemble et le sculpteur se voit confier deux statues de l’escalier d’honneur, les Sciences et l’Assistance publique.

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L’Hôtel de Ville incendié. Photographie d’Auguste Hyppolite Collard

Metropolitan Museum, New-York

En 1889, le sculpteur réalise une œuvre pour le jardin des Tuileries, Les Exilés, qui se trouve aujourd’hui au Musée d’Orsay.

 

S’il existe donc une continuité incontestable entre la période précédente et la Troisième République, on constate néanmoins des inflexions.

Des inflexions notables

 

La première concerne les projets religieux. Si le sculpteur a participé à de nombreux projets avant 1870, ce n’est plus le cas après cette date. Certes, ses convictions permettent de comprendre pourquoi il n’a pas participé au chantier le plus emblématique, celui du Sacré-Cœur. Certaines autres réalisations ne correspondent sans doute pas à son esthétique, soit parce qu’elles renvoient à des cultures différentes (Cathédrale américaine Sainte Trinité, Cathédrale grecque Saint Etienne, Notre Dame du Liban), soit parce que le style est éloigné de ses conceptions (Saint Jean de Montmartre). Mais il en reste beaucoup : certaines avaient été commencées avant 1870 et ont été achevées plus tard (Notre Dame de la Croix de Ménilmontant, Notre Dame des Champs), d’autres sont franchement postérieures (Notre Dame d’Auteuil, Notre Dame de Consolation érigée après l’incendie du bazar de la Charité, Sainte Anne de la Butte aux Cailles). Pourtant, le nom de Mathurin Moreau n’est associé à aucun de ces projets.

 

En revanche, il contribue à la réalisation de plusieurs monuments à connotation patriotique, ce qui peut s’expliquer par le traumatisme créé par la défaite de 1870 et la perte de l’Alsace-Lorraine. En 1880, il sculpte à Dijon les bas-reliefs de la statue de la Résistance (œuvre de Cabet). Celle-ci commémore l’attitude héroïque de la Ville, qui résista à trois reprises aux assauts des troupes prussiennes. Le 30 octobre, les volontaires locaux et 1600 soldats commandés par le Général Fauconnet s’opposèrent à l’avant-garde badoise. Fauconnet et 160 volontaires dijonnais furent tués. Après un deuxième incident, le dernier combat se déroula le 14 janvier 1871, les troupes françaises commandées par Garibaldi tenant en échec les envahisseurs. Comment ne pas rappeler ici les propos enflammés de Victor Hugo à l’Assemblée Nationale, en mars de la même année ? « Où les puissances, comme on dit, n’intervenaient pas, eh bien un homme est intervenu, et cet homme est une puissance… Cet homme, Messieurs, qu’avait-il ? Son épée… Son épée, et cette épée avait déjà délivré un peuple… Et cette épée pourrait en sauver un autre. Il l’a pensé, il est venu, il a combattu… Il est le seul, des généraux qui ont combattu pour la France, le seul qui n’ait pas été vaincu… Il y a trois semaines, vous avez refusé d’entendre Garibaldi. Aujourd’hui, vous refusez de m’entendre. Cela me suffit. Je donne ma démission. ».

 

En 1891, il sculpte les bas-reliefs d’un autre monument, toujours dans sa Bourgogne natale mais cette fois à Saint Jean de Losne. Celui-ci rappelle un événement ancien : le 25 octobre 1636, une armée hispano-impériale mit le siège devant la petite ville. Face aux envahisseurs, les défenseurs étaient peu nombreux, à peine 150. Mais les habitants, réunis sur la place des délibérations, s’engagèrent à défendre la place jusqu’aux derniers et, s’il le fallait, à incendier la ville pour continuer la lutte au-dehors. Dans la nuit du 2 au 3 novembre, des renforts peu nombreux mais bruyants arrivèrent et l’armée ennemie se retira. Mathurin réalise deux bas-reliefs : le premier évoque la délibération, le deuxième le serment des défenseurs et l’assaut.

 

Cette veine patriotique est nouvelle chez Mathurin Moreau. Au même moment, celui-ci s’intéresse aux techniques nouvelles et resserre ses liens avec la fonderie du Val d’Osne, en Haute-Marne.

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La fonderie du Val d’Osne au XIXème siècle

Certes, on ne saurait parler, là non plus, d’une rupture : les liens du sculpteur avec la fonderie d’art remontent à 1849. Mais leur collaboration ne cesse de se renforcer, au point que l’artiste devient administrateur de l’entreprise. Celle-ci lui permet de s’exporter partout dans le monde. Pour reprendre les propos d’Alif Trebor dans l’excellent ouvrage Fontes d’art. Fontaines et statues françaises à Rio de Janeiro, cet « artiste fécond et méconnu…fait partie de la cohorte de sculpteurs du XIXème siècle à redécouvrir. Il est pourtant le sculpteur français dont les œuvres sont les plus répandues au monde. ».

 

L’une des raisons de ce succès est l’intérêt de Mathurin Moreau et du Val d’Osne pour les techniques les plus modernes. Deux de celles-ci notamment vont leur permettre d’exporter leurs créations partout sur la planète. Le pantographe, inventé par Achille Colas en 1836, permet de reproduire une même œuvre à des échelles différentes. La galvanoplastie, dont le brevet déposé par Mignon est utilisé dès 1872 par le Val d’Osne, permet de couvrir des statues de fonte d’une mince couche de bronze, leur garantissant ainsi une meilleure protection et une apparence plus noble.

 

Mathurin ne se contente pas d’utiliser ces techniques. Il fréquente leurs inventeurs. Il réalise ainsi en 1901, au Père Lachaise, le monument funéraire de Zénobe-Théophile Gramme, créateur du premier générateur électrique dont la découverte a permis la galvanoplastie.

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Statue de Zénobe-Théophile Gramme par Mathurin Moreau au Père Lachaise

Cette ouverture sur les techniques les plus modernes permet aux statues de Mathurin Moreau de se retrouver partout dans le monde. En France bien sûr, où les quartiers nouveaux de Hyères, créés sous l’impulsion de l’homme d’affaires Godillot, s’ornent d’une fontaine qui porte le nom de ce dernier. En Europe : Lisbonne, Porto, Madrid, Genève, la Pologne et les Pays-Bas… En Asie et en Océanie, où l’on retrouve ses œuvres à Mysore, à Pondichéry et jusqu’en Tasmanie. En Amérique du nord (Ottawa).

 

Mais c’est surtout l’Amérique du sud qui fait appel à lui : Argentine, Chili (Santiago et Valparaiso), Paraguay, Uruguay… Partout, sur ce continent marqué par l’influence française, les aménagements urbains s’accompagnent de fontaines ou de monuments commandés à Mathurin Moreau et au Val d’Osne.

 

Une place à part doit être réservée au Brésil, pour deux raisons : l’importance de son patrimoine et le soin apporté à son entretien et à la mémoire des artistes qui en furent les créateurs.

 

Après la France, le Brésil est en effet le pays qui compte le plus grand nombre d’œuvres du Val d’Osne, plus de 200 à Rio de Janeiro. Cela s’explique d’abord par l’arrivée en 1858 d’un botaniste breton, Auguste Glaziou, appelé par l’Empereur Dom Pedro II et chargé d’aménager divers espaces verts dans ce qui était alors la capitale. On lui doit par exemple le Passeio Publico, orné des Quatre Saisons dues au ciseau de Mathurin.

 

Puis, en 1874, le Ministre des Affaires de l’Empire décide de la création d’une commission chargée de réfléchir à l’aménagement d’ensemble de Rio. Sur les trois ingénieurs qui la composent, l’un, Pereira Passos, s’est rendu l’année précédente à Londres et à Paris, où il a étudié avec attention les réalisations du Baron Haussmann. Devenu Maire de Rio de 1902 à 1906, il saura s’en souvenir.

 

Non seulement la capitale brésilienne se couvre de réalisations du Val d’Osne (dont une trentaine au moins de Mathurin Moreau), mais celles-ci sont placées dans les lieux les plus emblématiques de la ville : la fontaine de Monroe, achetée en 1878, est sans équivalent pour ses dimensions. Le bâtiment qui abrite la Présidence de la République (devenu musée après le transfert de la capitale à Brasilia) accueille dans ses jardins plusieurs statues de Mathurin : les quatre continents, Christophe Colomb, l’Aurore, le Crépuscule, la Lecture et l’Écriture… D’autres œuvres ornent des écoles, des hôpitaux, le Tribunal électoral…

 

L’autre caractéristique du Brésil, surtout si l’on compare avec le désintérêt français et notamment de la Ville de Paris, est l’attachement porté à ce patrimoine. En 1992, la municipalité a entrepris, avec l’aide de l’Association de sauvegarde et protection du patrimoine métallurgique haut-marnais (ASPM, créée à l’origine pour sauver les vestiges de la Fonderie du Val d’Osne, aujourd’hui classés monument historique), l’inventaire et la remise en état de ce patrimoine, dont les œuvres maitresses sont protégées : la fontaine de Monroe, par exemple, a été classée monument historique. A l’occasion de ce travail, le remarquable ouvrage sur les fontes d’art à Rio fut publié (éditions de l’amateur).

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Fontaine Monroe, Rio de Janeiro

On ne peut que souhaiter une attention comparable à Paris, dont le paysage actuel est profondément marqué par les créations du Val d’Osne : les chevaux du pont Alexandre III ou les stations de métro de Guimard par exemple. Et, même lorsque ces œuvres ne sont pas de Mathurin Moreau, le lien avec celui-ci est indissociable : c’est ainsi qu’il inaugura la première fontaine Wallace de notre capitale, fruit d’une collaboration entre le Val d’Osne et le sculpteur Lebourg, qui fut installée dans le XIXème arrondissement dont il était le maire.

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Le Printemps (Valparaiso)

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Macaron sur la façade de la maison où mourut Mathurin Moreau

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