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Sauvons la Maison de Mathurin Moreau

La maison où vécut et mourut (en 1912) le sculpteur Mathurin Moreau est en vente. Elle se trouve 15 passage du Monténégro dans le 19ème arrondissement.

 

Il s’agit vraisemblablement d’un ancien corps de ferme du XVIIIème siècle, qui faisait donc partie du château de Saint Fargeau avant la destruction de ce dernier au début du XIXème siècle. Sa façade est ornée d’un mascaron représentant une tête humaine et l’intérieur comporte une montée d’escalier et des sols d’un grand intérêt.

 

Elle est inscrite sur la liste des protections patrimoniales du 19ème arrondissement mais ce document est dénué de valeur juridique. De plus, il mentionne uniquement la façade, faisant l’impasse sur l’intérieur comme sur le jardin de 600 mètres carrés qui l’accompagne.

 

D’ores et déjà, chaque jour, les promoteurs immobiliers ou leurs représentants se pressent passage du Monténégro pour visiter et évaluer le bien et son potentiel.

 

Il suffit de consulter la liste des protections patrimoniales pour constater que cette maison est l’un des très rares témoignages du 18ème siècle encore debout dans l’arrondissement. La plupart des édifices qui ont été inscrits remontent au 19ème siècle, lorsqu’il ne s’agit pas d’ensembles immobiliers du siècle dernier.

 

Cet intérêt architectural justifierait à lui seul la sauvegarde de la maison. Mais un autre élément s’y ajoute : il s’agit de la maison de Mathurin Moreau.

 

Qui était Mathurin Moreau, aujourd’hui quelque peu oublié mais qui fut assez important à son époque pour qu’une des plus grandes avenues de l’arrondissement porte son nom?

 

Premier maire élu du 19ème arrondissement de 1879 à sa disparition, il symbolise l’avènement de la démocratie municipale, après la période autoritaire du Second Empire. Un grand tableau d’Henri Gervex lui rend d’ailleurs hommage dans la salle des mariages de la Mairie : la cérémonie du mariage, peinte en 1881, montre Mathurin Moreau officiant devant une assemblée qui comprend notamment Émile Zola.

 

Mathurin Moreau n’est pas seulement un représentant des libertés locales. C’est aussi un grand sculpteur, jugé assez important pour que le Musée d’Orsay se porte acquéreur en 2016 d’une des ses œuvres (La Renommée inscrivant sur une tablette la date de l’Exposition, statuette en argent exécutée par Christofle en 1866)

 

Membre d’une dynastie de sept artistes (dont son père et ses deux frères), il remporte le 2ème Prix de Rome en 1842 et expose chaque année au Salon de 1848 à 1912. Il est le professeur d’un autre grand sculpteur, James Pradier.

 

Mathurin Moreau a une importance particulière pour Paris, où il a réalisé de très nombreuses œuvres d’art : la sculpture immense de l’Océanie qui orne aujourd’hui le parvis du Musée d’Orsay par exemple. Ses sculptures sont généralement intégrées dans des ensembles architecturaux. C’est le cas de l’Opéra de Paris où il réalise les cariatides qui ornent l’entrée particulière du souverain et de l’église Saint Augustin (créée par Baltard) dont il sculpte les parties supérieures de la porte principale (les quatre vertus cardinales) et des portes latérales (anges portant les symboles de la Passion). Les copies de ces sculptures ornent encore aujourd’hui la montée d’escalier du 15 passage du Monténégro où elles font partie intégrante de la décoration intérieure, comme en témoigne cette photo !

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Mathurin Moreau n’est pas seulement un sculpteur que sa participation aux Salons pourrait faire suspecter d’académisme. C’est un homme de son époque, féru de progrès techniques et soucieux de mettre les techniques au service de l’art. Il travaille en effet pour la principale fonderie d’art française du XIXème siècle, le Val d’Osne (en Champagne) dès 1849 et en devient l’administrateur. Cette fonderie s’est notamment illustrée par de nombreuses innovations, telles que la pantographie (qui permet de reproduire une œuvre en différentes tailles) et la galvanoplastie (grâce à laquelle il est possible de couvrir des statues de fonte d’une couche de bronze).

 

Cette fonderie a elle aussi un lien très étroit avec le paysage urbain parisien : elle a réalisé les chevaux du pont Alexandre III, les entrées de métro de Guimard ou les fontaines Wallace. Elle a fermé ses portes en 1986 mais une association, l’ASPM, créée à l’origine pour sauver les vestiges de l’usine (aujourd’hui inscrite à l’inventaire des monuments historiques), a élargi son action à tout ce qui concerne la fonte d’art française dans le monde et publie la revue Fontes.

 

Cette collaboration avec le Val d’Osne a fait de Mathurin Moreau un acteur important du rayonnement international de la France. Ses œuvres sont aujourd’hui devant le Parlement de Québec, dans les collections royales britanniques, à Lisbonne et dans de très nombreuses grandes villes d’Amérique du sud, telles que Belém, Valparaiso, Santiago du Chili, Buenos-Aires… Une mention particulière doit être faite de Rio de Janeiro qui décida une rénovation urbaine complète en 1874-1875 et, sous l’impulsion du botaniste breton Auguste Glaziou, acheta plus de 200 œuvres au Val d’Osne dont plus de 30 sculptures de Mathurin Moreau. Installées dans de nombreux parcs et jardins, on les trouve aussi dans les lieux les plus prestigieux : tribunal électoral, université, hôpital, ancienne Présidence de la République (devenue musée depuis le transfert de la capitale à Brasilia)… Un récent programme de restauration et mise en valeur de ce patrimoine a été ponctué par la publication d’un ouvrage de référence, Fontes d’art à Rio de Janeiro (éditions de l’amateur).

 

Peut-on imaginer que Paris, dont il fut l’élu et qu’il orna de ses œuvres, où il vécut et mourut, laisse disparaître sa mémoire alors que de l’autre côté de l’Atlantique son souvenir est entretenu et respecté ?

 

Enfin, si tous ces arguments ne suffisaient pas, il faut rappeler que sa maison dispose d’un jardin de 600 mètres carrés doté de nombreux arbres et qui constitue un poumon apprécié des oiseaux de Paris, dont chacun sait que le nombre disparaît chaque année, notamment en raison de l’insuffisance des espaces verts. En témoignent ces photos d’une grue cendrée, prises les 16 et 17 octobre 2020.

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